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LES ARTICLES

Denis Rival

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SAVEZ-VOUS PLANTER UNE HAIE A LA MODE ROMAINE ?

(Sur l’air de Savez-vous planter des choux à la mode, à la mode de chez nous ?)

 

Part indispensable du jardin potager romain expérimental, l’expérience d’une plantation de haie sur quelques mètres a été définie et commencée depuis décembre dernier.

Le mode de la plantation nous est connu par les écrits d’agronomes latins, notamment Columelle et Palladius. La haie romaine entourait le jardin potager dans le but d’empêcher toute intrusion humaine ou animale.

En premier lieu, il faut creuser, vers la fin de l’automne, deux tranchées parallèles, d’un pied de profondeur (environ 30 cm) et espacées de trois pieds. La terre extraite est conservée sur les côtés de la tranchée qui restera ouverte jusqu’à la plantation des graines mi-février. Les essences d’arbustes utilisées sont des épineux : ronce, églantier et prunellier, plantés dans les tranchées, et des feuillus : saule et noisetier, plantés dans l’espace entre les tranchées. Leur rôle sera de servir de tuteurs aux épineux qui seront rabattus vers eux, afin qu’ils poussent vers l’intérieur de la haie pour former un entrelacs serré et fourni, infranchissable. Ce type de haie existe toujours, elle est appelée « haie vive » ; la haie qui entoure en partie le site archéologique en est une.

Nous vous attendons les 5 et 6 juin prochains lors des Journées des Jardins pour la visite du jardin romain, de la haie naissante et du puits destiné à l’arrosage du jardin.

« Quand je serai grande, je serai archéologue »

Témoignage d’une Candide sur un chantier de fouille

 

Épisode 1 : Prologue

« Quand je serai grande, je serai archéologue ! »

Depuis, l’eau a coulé sous les ponts ; à peu près 40 ans.

Je ne suis pas archéologue, n’ayant même pas suivi un cursus d’études qui aurait pu, peu ou prou, me rapprocher de cette profession.

Pourtant, j’y suis :demain, je participe à un chantier de fouilles, un vrai, estampillé, labellisé. Je l’ai rêvé, imaginé, fantasmé, espéré.

Et là, j’oscille entre l’excitation de la petite fille, la veille de Noël, et la terreur de l’adulte raisonnable, que je suis presque devenue, et qui se rend compte, soudain, que parfois, un rêve d’enfant devrait rester ce qu’il a toujours été, un rêve d’enfant ! Lui donner corps n’est que pure folie.

Au cours de cette période tumultueuse qu’est l’enfance, j’ai aussi voulu être danseuse, artiste de cirque, dompteur d’éléphant, championne d’escalade, dessinatrice, décoratrice de théâtre, marin, vétérinaire et vendeuse de pizzas. Heureusement qu’une vie humaine est trop courte pour assouvir tous ces rêves d’enfant !

Fouiller une villa romaine ! Mais qu’est-ce que je vais faire dans cette galère ?

L’ensemble de mes connaissances de cette période historique se résume à mes lectures assidues des 24 premiers album d’Astérix et Obélix (les suivants n’ont plus, pour moi, la même qualité!)

En savoir plus académique, je peux éventuellement me targuer d’avoir lu quelques passages de La Guerre des gaules de César, même si lesdits passages ressemblaient plus à des cadavres exquis, après mes tentatives laborieuses de traduction, qu’à un texte vraiment cohérent. J’en demande d’ailleurs encore humblement pardon à mes enseignants : n’est pas latiniste qui veut !

Bon, soyons rationnelle. Ce n’est pas grave. Après tout, on ne va pas me demander de construire un exposé en trois parties sur l’histoire de la romanisation de la Gaule. Je vais juste gratter la terre.

Nouveau sursaut de sueurs froides. Je n’ai aucune connaissance en géologie ! De la terre, c’est de la terre. Je sais bien qu’il en existe diverses variétés, qu’elle peut être de différents coloris et j’imagine qu’il y a sûrement un lien entre les deux. Mais lequel ?

 

« Nous accueillons toutes les bonnes volontés sur le chantier ! » Ces paroles, prononcées par Elvyre et Robert, les responsables du chantier, se veulent rassurantes et bienveillantes. C’est très gentil de les prononcer. Mais, j’ai mis pendant longtemps beaucoup d’ardeur, de courage et de persévérance pour progresser en mathématiques. Force est de constater que ce fut un échec cuisant, n’ayant jamais pu dépasser le 8/20.

Je suis donc bien placée pour savoir que la bonne volonté, hélas, ne suffit pas toujours.

 

Et puis je me dis, qu’après tout, on n’a pas tous les jours l’occasion de toucher du doigt un rêve d’enfant, que toute expérience est bonne à prendre et que dans le pire des cas, si cela tourne au fiasco, dans 10 ans, cela me fera rire !

Vivement demain…

 

Épisode 2 : C’est quoi l’archéologie ?

 

Pour mon premier jour, j’ai fait consciencieusement mon sac, comme une élève de 6ème appliquée qui va entrer pour la première fois au collège : chapeau, crème solaire, lunettes de soleil, chaussures fermées, pantalon, gourde, papier et crayon et surtout, toute ma bonne volonté. Je suis prête ! Un peu inquiète, mais prête à découvrir.

Robert, le chef de chantier nous accueille, souriant :

« Avant d’aller sur le chantier, petit cours théorique sur ce que sont les fouilles archéologiques : objectifs scientifiques, techniques de base et philosophie de recherches. Ce qui est important, c’est que vous saisissiez bien la finalité des fouilles »

M’asseoir, écouter, prendre un air inspiré et retenir quelques éléments d’un exposé, s’il n’est pas trop scientifiquement poussé, c’est dans mes cordes. Je peux encore faire illusion quelques temps. Et je ne suis pas seule à suivre le cours de rattrapage, cela me rassure un peu.

En deux heures, tous mes préjugés sur l’archéologie volent en éclat !

Adieu Indiana Jones ! Adieu Meurtre en Mésopotamie d’Agatha Christie ! Adieu Tintin et les cigares du pharaon ! Ma bibliographie sur le sujet n’est plus qu’un champ dévasté.

Fouiller, c’est détruire : l’archéologue élimine avec application toutes les couches de terre qu’il fouille. Tout doit disparaître ! Pire que les soldes d’été !

Fouiller, c’est noter, décrire, dessiner, relever, mesurer couche après couche, avant destruction. L’archéologue a donc plus souvent un crayon dans la main que la truelle. Tiens, il n’a pas de pinceau ?

Et toutes ces données visent un seul but : constituer la coupe stratigraphiques du site. A force de concentration, je finis par comprendre que c’est le dessin de toutes les couches de terres accumulées au fil des siècles. Elle permet ensuite, à l’œil expert, de repérer les différentes perturbations liées à l’activité humaine et de comprendre l’évolution de l’occupation du lieu.

Toutes nos actions doivent tendre vers cet objectif ultime, le saint Graal de l’archéologue : la coupe stratigraphique.

Et les objets alors ? Les beaux vases ? Les amphores ? Les bijoux ? Les fresques ? Les mosaïques ? «  Le matériel est utile pour dater les couches. » Tout ce que je prenais jusqu’à présent pour des trésors, n’est que du matériel, instrument comme un autre, au service de la sacro-sainte coupe stratigraphique.

J’accepte, sans broncher, ces nouvelles données. Je suis venue pour apprendre et découvrir la vérité sur cette pratique, qu’importe les deuils à effectuer pour y parvenir. Je me dis quand même que l’arnaque du père Noël est moins douloureuse que les mensonges cinématographiques d’Indiana Jones ! Je sortirai discrètement le fouet caché au fond de mon sac que j’irai brûler dans un coin et me dévouerai, corps et âme à ma nouvelle mission, la coupe stratigraphique.

Je crains d’avoir un peu lâché prise et j’ai perdu le fil de l’exposé. Je raccroche à la conclusion: l’archéologue doit être polyvalent, un peu photographe (au secours, je n’ai jamais su cadrer une photo ! Va savoir pourquoi, sur les photos de famille, ma belle-mère est toujours hors-champ), topographe (je ne sais même pas ce que c’est), terrassier (pelle et pioche n’ont pas à s’inquiéter. Taillée comme je suis, je ne suis même pas sûre d’être capable de les soulever). Il doit aussi être méticuleux, organisé, précis (j’éviterai donc de narrer mes exploits catastrophiques en cours d’Éducation Manuelle et Technique, au collège, sans quoi, je vais me faire virer sur le champ).

Le bon fouilleur est celui qui se questionne continuellement sur ce qu’il fouille, cherchant inlassablement les actes humains qui se cachent derrière chaque couche, chaque perturbation.

Je sors de cette conférence un tantinet perturbée. Si j’ai bien compris tout ce que l’archéologie moderne n’est pas (je me demande d’ailleurs s’il est possible de porter plainte contre les réalisateurs de cinéma pour escroquerie), je crains de ne pas avoir vraiment saisi de manière concrète ce que je vais devoir faire sur le chantier et surtout, comment le faire.

Mais je me promets d’y mettre toute ma bonne volonté !

Épisode 3 : « Qu’est-ce tu fouilles ? »

 

Après la théorie, la pratique.

Robert nous répartit sur différentes équipes déjà en action. La mienne m’accueille avec sourire et m’offre généreusement une truelle. Je ne sais comment réagir face à cette offrande. Oserai-je leur avouer que je ne sais même pas comment la tenir ?

Je traîne un peu à m’installer, juste le temps nécessaire pour observer rapidement l’usage de cet ustensile.

La truelle archéologique ressemble beaucoup à sa cousine la truelle de maçon. Mais si cette dernière sert souvent à projeter l’enduit et à le talocher, la truelle archéologique sert à racler. L’une offre son dos, l’autre, son flanc.

Je m’arme donc de mon outil, le bascule sur le côté et commence à racler le sol, avec minutie, précision et bonne volonté. J’ai compris que le but est de descendre jusqu’à la couche inférieure. Mais comment sait-on que l’on est arrivé ?

Je me risque à poser la question. «  Tu t’arrêtes quand tu arrives à la terre jaune. Là, on est sur une couche de remblai, de couleur noire. »

Je pourrais baiser les pieds de ma sauveuse qui vient de me donner une direction, un but, un début de sens à mon action ! Bien que je ne définirai pas la terre que je vois de couleur noire. Elle me semble plutôt marron clair, mais je ne vais pas ergoter.

Je racle donc, jusqu’à la couleur jaune. Je n’ai plus qu’un seul objectif, atteindre la couche de jaune. Le jaune, c’est un concept que je maîtrise depuis l’école maternelle : jaune banane, jaune canari, jaune impérial, jaune safran, jaune vénitien, jaune poussin, jaune soufre, jaune or, jaune maïs, jaune paille…

Je balaye le côté de ma truelle sur le sol, emplis mon seau de la terre noire, totalement absorbée à ma tâche. Je jette régulièrement un regard sur mes comparses de grattage, histoire de m’assurer que rien ne les inquiètent dans mes gestes et que je ne commets pas de bévue. J’enlève une couche de terre noire pour arriver à une couche jaune. C’est simple, finalement. Inlassablement, je répète le même geste et un doute m’assaille : à quoi ça sert, quel est le sens de ce que je fais ? Je ne comprends rien de ce que je vois, d’ailleurs, je ne vois rien que de la terre à racler, à mettre dans un seau. Je ne repère aucun matériel, alors que régulièrement, mes compagnes cessent le grattage pour relever un morceau de céramique ou de tesselle de mosaïque, qu’elles glissent ensuite dans un sachet en plastique.

Je saisis alors qu’il ne s’agit pas juste de décaper la couche en place, il faut aussi être à l’affût. Mais à l’affût de quoi ? Je n’ai aucune idée de ce que je peux trouver. Mon œil n’est pas exercé à repérer une tesselle de mosaïque. Une mosaïque entière, c’est sûre, je ne la raterai pas. J’en ai vu plein. Mais un seul petit morceau isolé ?

Je réalise surtout que j’ai sûrement évacué des tas de chose intéressantes et qui sont, par ma faute, perdues à tout jamais.

En plein désarrois, j’entends Robert me demander : « Qu’est-ce que tu fouilles ? »

Je me tourne, totalement désemparée. Qu’est-ce que je fous ? Il en a de bonnes ! Je saccage son chantier ! Qu’est-ce que je fous ? J’élimine, sans le savoir, avec toute ma bonne volonté, des pièces inestimables. Qu’est-ce que je fous ? Je mets de la terre noire dans un seau, évacuant ainsi le matériel utile à la datation de la couche, avec la plus grande candeur !

Toujours souriant, sans réponse de ma part, il réitère sa question, lentement : « Là, qu’est-ce que tu fouilles ? »

Je balbutie péniblement une réponse, que je trouve horriblement confuse. J’ai la désagréable impression d’avoir à nouveau 12 ans, collée au tableau, devant une classe hilare, face à mon prof de math qui s’impatiente et choit dans un désespoir abyssal à chacune de mes paroles.

« - J’enlève la couche de terre noire pour atteindre la couche suivante qui doit être jaune ?

- Et bien tu devrais t’arrêter parce que tu l’as atteinte et tu es déjà en train de l’éliminer. »

La truelle me brûle les mains.

Je viens de commettre un deuxième crime de lèse-majesté. Après avoir fait disparaître du matériel de la strate supérieure, j’ai supprimé la couche suivante, avant d’avoir effectué tous les relevés nécessaires pour la garder en mémoire.

Je me tourne vers le sol et observe la terre.

« Mais, elle n’est pas jaune ! Elle est toujours marron ! »

 

Je dois me rendre à l’évidence. Tout le monde autour de moi la trouvant très jaune cette terre, je ne vois qu’une explication : mes cellules réceptrices situées dans mes rétines ne sont pas compatibles avec la fouille. Je souffre de daltonisme archéologique.

 

Épisode 4 : La fée du logis

 

Une belle couche de terre, officiellement jaune, se pâme à mes pieds.

« Il faut maintenant la nettoyer. Quand elle sera bien propre, on pourra prendre la photo. »

Bien sûr, je fais ça tous les jours. Je nettoie régulièrement la terre de mon jardin, à coup d’eau de javel même !

J’observe mes compagnes de travaux : elles prennent une balayette. Accroupies, elles caressent délicatement la surface et éliminent ainsi les surplus de terre et de gravier, pour qu’il ne reste que les éléments appartenant à la couche jaune.

Je me lance et empoigne fermement une balayette. Attention poussières superflues, j’arrive, et avec toute ma bonne volonté en plus. Vous n’avez aucune chance de survie !

Je me penche au-dessus de ma partie de décapage, je pose délicatement ma balayette, dans un geste que je veux doux et délicat. J’entame un mouvement de balançoire de la gauche vers la droite et envoie valdinguer une bonne partie de la couche sur la surface de ma voisine !

« Eh ! Ton geste est trop brusque ! Tu dois caresser, effleurer la surface, sans quoi, tu vas tout détruire et ensevelir les parties décapées par tes collègues ! On va finir. Vas plutôt préparer l’ardoise pour la photo. »

Un bras tendu dans une direction, à l’exact opposé du l’endroit où l’on se trouve, m’indique le lieu où je vais trouver la fameuse ardoise.

 

Épisode 5 : L’ardoise

 

Ici, mon ignorance ne devrait pas avoir trop de conséquences néfastes pour la recherche. Je vais donc m’occuper de l’ardoise. Arrivée devant les caisses, je me sens un peu comme un chien dans un jeu de quilles : un tas de plaques striées, en caoutchouc, des boites de lettres en plastique blanc, des flèches rouges, des mini règles graduées en métal. Que dois-je faire ?

J’imagine aisément qu’il faut glisser les lettres sur une plaque pour constituer un texte informatif. Mais quel doit être son contenu ?

Heureusement pour moi, un fouilleur me rejoint. A-t-il, lui aussi, été banni pour balayage trop appuyé ? Je garde cette interrogation pour moi et lui demande simplement ce qu’il faut mettre sur l’ardoise. Je précise que je suis nouvelle et que je n’ai jamais fait ça. Après un regard que je n’ai pas réussi à interpréter, compatissant ou blasé, il me répond, assez laconique :

« - Il faut indiquer le lieu du chantier, la date, le secteur de fouille et le numéro de la couche. Une information par ligne, tout écrit dans la même police. »

- Et je les trouve où, ces informations ?

- Demande à ton équipe. »

Fin de la discussion.

Il s’affaire sur sa plaque. Je l’observe et me demande comment il va réussir à faire entrer Saint Romain de Jalionas, sur une seule ligne, vue la taille des plaques.

Il ouvre les boites, gardiennes des lettres et là, stupeur : des centaines de lettres et de chiffres, en vrac, grosses lettres et petites lettres mélangées, pêle-mêle. Les boites sont constituées de casiers, initialement prévus pour séparer les lettres et les chiffres, les grandes tailles et les petites tailles. Mais là, il semblerait qu’aucun tri n’ait été effectué depuis des décennies. A moins que le transporteur des boites de ce matin soit encore plus maladroit que moi. Est-ce possible ?

Mon compagnon de lettrine s’escrime à trouver les bonnes lettres, râle, rejette au hasard dans une boite les lettres inutiles, fouille, renverse une partie des signes alphabétiques sur le sol pour y voir plus clair.

Il finit par réussir à constituer sa plaque :                      SRJ 2019

                                                                                          S VIII

                                                                                         C 1068

SRJ pour Saint Romain de Jalionas, c’est astucieux. Évidemment, j’aurais dû y penser. Utiliser des abréviations était la seule solution pour parvenir à faire entrer toutes les informations attendues sur cette petite plaque. En plus, cela économise pas mal de lettres. Or, certaines deviennent vite une denrée rare dans ces boites, surtout quand on est plusieurs à réaliser une ardoise en même temps.

Mon acolyte regarde sa plaque, satisfait, ramasse les lettres qui traînent sur le sol, les jette au hasard dans une caisse et retourne rejoindre son équipe, le Graal en main.

A mon tour !

Après avoir demandé le numéro du secteur et de la couche (que j’ai discrètement notés sur un papier car je n’ai aucune mémoire des chiffres), je commence à chercher dans les boites les lettres idoines. Je pose sur une plaque les S.R.J et je retourne farfouiller dans les casiers remplis de chiffres, dans l’espoir d’extirper de quoi constituer l’année. Une fois réalisé cet acte, que je n’hésiterais pas à qualifier d’exploit, je dépose mon butin sur mon ardoise. Je constituerai l’intégralité de mon message lorsque j’aurai rassemblé tous les éléments nécessaires. Un autre fouilleur arrive. Sans doute plus alerte que moi, là aussi, il faut avoir l’œil, il récupère rapidement le matériel utile à son ardoise. Alors que je continue à m’escrimer dans le fouillis des lettres, totalement absorbée par ma tâche, il repart. Mais quel est son secret ?

J’ai enfin de quoi écrire l’ensemble de ma page. Je me retourne et je m’aperçois que toutes les lettres initialement posées sur ma plaque ont disparu. Je comprends mieux la diligence du fouilleur. Il a tout simplement pris mes lettres ! SRJ, 2019, et SECTEUR VIII sont des informations communes à tous. Seul le numéro de couche varie. Si je trouve l’attitude déloyale, je suis bien obligée de reconnaître que je me suis fait bernée, comme une bleue que je suis et cela me vexe un peu.

Au bout d’un temps incommensurable, je rejoins mon équipe, équipée de l’ardoise dûment remplie, de la règle et de la jolie petite flèche rouge.

«  Tu as mis trop de temps ! On ne peut plus faire la photo. Le soleil a bougé et on va être gêné par l’ombre maintenant. »

 

Épisode 6 : Fiche signalétique

 

En attendant une fenêtre météo favorable à la prise photographique, l’équipe s’affaire à remplir, le plus précisément possible, une fiche d’informations sur la couche fouillée : numéro de couche, type de couche, caractéristique de la couche dont la couleur, la texture, la composition, le matériel trouvé. Je commence à regretter mon manque d’investissement pendant les cours de géologie, au collège.

Pour nous faciliter la tâche, il y a des rubriques préexistantes. Il suffit de cocher les bonnes cases. C’est gentil mais comme je n’ai aucune idée de ce que peuvent signifier les items proposés, je ne suis guère plus avancée. Du limon, c’est quoi ? Quelle est sa couleur ? Sa texture ? Sans parler des sous-variétés : le limon sablonneux, le limon argileux, le limon sablonneux-argileux. Le même problème se pose, évidemment, pour toutes les catégories terreuses. A la rigueur, je peux éventuellement identifier du sable, mais c’est bien tout. Cailloux, graviers, quelles différences ? Mortier de chaux, mortier de tuileau, qu’est-ce ?

Pas loin de céder au désespoir, je décide qu’à chaque jour suffit sa peine et que je me pencherai plus tard sur cet épineux problème. Pour l’instant, je vais me contenter de hocher la tête, si on me demande mon avis. Est-ce par pure charité chrétienne, ou simplement parce que mon incompétence transpire par chaque pore de mon corps, qu’on ne me demande rien ? Loin d’en être peinée, je remercie silencieusement les membres de l’équipe de m’oublier.

 

Épisode 7 : Dessiner

 

Une feuille de papier millimétré dans une main, un crayon de bois et une gomme dans l’autre, il faut dessiner la couche. Cela ressemble de plus en plus à un cours de EMT, cette affaire-là. Un dessin avec une échelle précise, s’il vous plaît.

Comme pour la fiche de renseignement, je laisse cette tâche à mes compagnons de fouille, qui doivent commencer à regretter amèrement ma présence. Je constate, avec un certain sentiment de satisfaction, que cette étape semble poser quelques difficultés à mes collègues. Même expérimenté, en sachant exactement ce qu’il faut faire, il n’est pas aisé d’accomplir cette besogne. En même temps, cela signifie que je ne suis pas prête d’y parvenir et qu’il faudra de nombreuses heures d’apprentissage. A supposer que je m’en laisse le temps, que je ne parte pas en courant à la pause de midi, loin de ce monde dont je ne connais aucun code, si éloigné du mien et qui possède même sa propre palette de couleurs.

 

Épisode 8 : mesures

 

Une fois le schéma réalisé, il faut encore prendre les altitudes. Pendant que deux fouilleurs choisissent les points stratégiques qu’il faudra mesurer et qu’ils les reportent sur le dessin, je dois aller m’enquérir de l’usage de la lunette de géomètre. Cela tombe bien, Robert fait un cours de rattrapage pour les novices.

« L’altitude, dans le langage commun, exprime l’éloignement d’un objet par rapport au niveau moyen de la mer. Le système de visée rendu horizontal permet d’effectuer des lectures métriques sur des mires graduées. La lunette tourne autour d’un axe vertical appelé axe principal qui lui, est perpendiculaire et décrit ainsi un plan horizontal. »

Je crois que j’ai complètement décroché. J’ai faim et me demande de plus en plus si j’ai encore une bonne raison de rester-là, hormis l’orgueil.

«Avant les mesures il faut vérifier le bon serrage des éléments constitutifs du trépied comme les branches et les embases. Il est important de bien choisir sa station pour que le trépied soit le plus stable possible. Il faut ensuite bien enfoncer les pointes du trépied dans le sol pour stabiliser l’instrument pendant la mesure. Vient alors le calage de la bulle qui consiste à faire pivoter la lunette dans un plan vertical pour amener la bulle entre ces repères de réglage. L’opérateur amène donc la bulle entre ses repères à l’aide des vis calantes de l’appareil, qui sont ici. La bulle étant calée, l’axe de visée est théoriquement une ligne horizontale. Vous allez alors réglé le niveau par rapport au point zéro, situé à l’entrée du chantier, là-bas. Puis, vous amenez l'image de la mire dans le champ de la lunette à l'aide du viseur et vous faîtes la mise au point de l'image de cette mire à l'aide du bouton latéral, situé là. Vous appuyez sur ce bouton, attention, très délicatement sinon, votre appareil va bouger, et la mesure s’affiche toute seule sur cet écran. C’est vraiment très simple d’utilisation. »

Je crois que nous n’avons pas tout à fait la même définition de la simplicité.

Après le cours magistral, arrivent les travaux pratiques ; comme je ne suis pas sûre d’avoir vraiment compris tout le laïus de Robert, et c’est un doux euphémisme, je recule légèrement, laissant ainsi mon mari, aussi novice que moi, en première ligne pour qu’il essuie les plâtres. Je l’observe très attentivement, mémorisant, du mieux possible chacun de ses gestes, espérant être capable de les reproduire dans 3 minutes. J’espère surtout que, malgré ma traîtrise affligeante, il volera à mon secours en cas de besoin. C’est beau l’amour !

Finalement, Robert avait raison, ce n’est pas très compliqué comme activité.

 

Épisode 9 : Des bienfaits de l’alimentation

 

La pause de midi, enfin ! Le moment d’un bilan temporaire de cette première demi-journée, entre deux bouchées alimentaires salvatrices.

J’ai plongé dans un monde inconnu, il y a tout juste 4 heures. Tiens, pas plus ? J’ai pourtant le sentiment d’errer dans une galaxie parallèle depuis des jours. J’ai regardé évoluer les membres de ce chantier, qui savaient tous quoi faire, quand et comment le faire, alors que je patouillais dans un marasme boueux d’action et de pensée. J’ai épié leur geste, tentant un mimétisme qui s’est régulièrement soldé par un échec. J’ai eu l’impression de déranger, continuellement, notamment Elvyre que a dû répondre, au bas mot, une quarantaine de fois à mes questionnements basiques, toujours avec bienveillance, m’assurant que « sur un chantier, il n’y a pas de question bête. » Vraiment ? Même quand je te demande ce que veut dire SRJ ?

J’ai découvert l’horreur d’être plongé dans un monde étranger, dans lequel on cherche, en vain, des points de repère pour tenter de construire du sens, où l’on agit sans vraiment savoir ce que l’on fait.

Tout devrait donc me conduire à m’excuser platement auprès de Robert et Elvyre après le café, à inventer n’importe quelle excuse bidon qui justifierait un départ précipité, à les remercier chaleureusement, bien sûr, de l’opportunité qu’ils m’ont offert de découvrir la réalité d’un chantier de fouilles et me tirer en courant, chez moi, retrouver ma zone de confort.

Pourtant, je vais retourner, cet après-midi et les jours suivants, me confronter à ce monde, encore totalement incompréhensible, subir évidemment des grands moments de solitude, me sentir encore complètement décalée et dépassée. A part l’éventualité d’un masochisme poussé à l’extrême, quelles autres explications possibles à cette décision ?

J’imagine que participer à la collecte d’informations sur le terrain, ce qui permet ensuite à Robert de dessiner la coupe stratigraphique du site, est déjà un contentement en soit. C’est un peu comme quand plusieurs personnes participent à la réalisation d’un puzzle géant : on a toujours une grande satisfaction à poser une pièce qui fait avancer l’ensemble, même si ce qui apparaît reste hermétique à notre entendement, parce qu’encore trop parcellaire.

Je me rassure et me dis que les gestes de fouilles, le rituel immuable des actions à suivre, avec le temps, je vais bien finir par les acquérir. Enfin, j’espère. J’avoue douter encore à ce sujet !

Il y a aussi le plaisir enfantin de gratter la terre, de toucher cette matière, de fouiner en espérant trouver quelque chose. Qu’importe ce que c’est ! Objet, nouvelle couche, base de mur. Juste le plaisir d’être surpris, juste le plaisir de découvrir.

Mais au-delà de tout ça, il y a un mystère à percer. Pas le mystère de la villa que l’on fouille, j’en serai bien incapable. Je ne suis même pas sûre de pouvoir, un jour, me faire un début de représentation concrète de l’aspect de ce lieu.

C’est le mystère de ce langage du terrain, cette lecture possible du sol qui m’appâte. Comprendre ce que je vois, analyser les éléments qui apparaissent pour leur donner du sens. Mettre en adéquation la démarche intellectuelle, qui consiste à raisonner en acte humain, et la retrouver sur le terrain, être capable de la lire. Il y a quelque chose qui m’échappe, certes encore, mais que je peux, peut-être, j’espère, un jour, appréhender, un peu. Ou pas !

On verra bien …

Texte: Juliette Bourgin

Matériaux lithiques de construction et de décoration

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Le principal matériau de construction est le « calcaire à entroques. » Ce calcaire est extrait sur le plateau de l’Ile Crémieu et a été utilisé jusqu’au développement du ciment et du béton au XIXe siècle. Se présentant souvent par minces plaques d’une dizaine de centimètres d’épaisseur, il a été employé également pour les toitures sous forme de dalles appelées localement lauzes. Les entroques sont des éléments fossilisés de squelettes d’animaux marins, les crinoïdes, animaux vivant toujours actuellement. Ce sont les petites étoiles que l’on voit sur la photographie.

D’autres calcaires (choin de Fay, choin de Villebois, tuf) et de la molasse, un grès friable à grain fin, ont été utilisés en raison de leurs propriétés. Le choin de Fay, par exemple, permettait la taille de grands blocs pour la construction de monuments importants comme un temple, des thermes ou mausolée…

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Les blocs de pierre, bruts ou taillés, étaient liés de différentes façons : à la terre, à l’argile, au mortier de chaux ou de tuileau. L’architecture romaine recourait essentiellement au mortier de chaux.

Le mortier de tuileau est un mortier de chaux auquel on ajoute des tuileaux, (fragments de tuiles et de briques pilés). Cette adjonction provoque une réaction chimique qui donne trois qualités à ce mortier :

- durcissement

- imperméabilité

- prise sous l’eau.

Ce mortier de tuileau est donc mis en oeuvre dans tous les aménagements où l’eau est présente, comme les fonds de bassins dans les thermes ou les fontaines.

Les derniers éléments destinés à la construction sont ceux fabriqués en terre cuite, essentiellement les pièces de la toiture, tegulae (grandes tuiles plates à rebords) et imbrices (actuelle tuile-canal), et les briques.

 

La terre cuite est aussi utilisée dans les thermes pour le système de chauffage par le sol et le mur appelé hypocauste.

Les marbres, colorés ou blancs, sont employés dans la décoration de la villa et sont un signe ostentatoire de la richesse du propriétaire. Ils sont importés depuis tout le bassin méditerranéen (Italie, Grèce, Turquie, Egypte, Afrique du Nord), ou viennent de Gaule même (Pyrénées, voir la photo, Bugey, Bourgogne).

 

Les principales utilisations des marbres colorés sont les pavements de sol ou de mur, uniformes ou par juxtaposition de plaques (opus sectile). Ils sont plus rarement utilisés pour la fabrication de tesselles de mosaïque.

Les marbres blancs ont ces mêmes utilisations, mais sont le plus souvent destinés à la statuaire car ils possèdent une structure homogène à grain fin qui se prête facilement au ciseau du sculpteur. Leur nature chimique – du carbonate de calcium pratiquement pur – a fait le malheur de nombre de statues, passées dans les fours à chaux.

Les mosaïques sont un autre signe ostentatoire de richesse. Les petites pièces qui les composent, les tesselles, sont taillées dans toutes sortes de matériaux : calcaires, marbres, terre cuite, pâte de verre, afin d’obtenir une gamme de couleurs variée.

Un dernier élément de décoration est l’enduit peint. Après l’application d’un mortier sur le mur, recouvert d’une mince couche de chaux, la peinture était appliquée avant séchage. Les pigments étaient généralement d’origine minérale ; le noir était fabriqué avec des produits organiques.

 

Enfin, la pierre peut être employée pour la fabrication d’objets domestiques comme les mortiers à pilon, les meules en basalte importées du Massif Central (voir la photo), ou agricoles comme les pierres à aiguiser…

Denis Rival

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